Combien donc parmi vous se sont souvenus d'épisodes agréables et accompagnés de leur existence rien qu'à la lecture de l'entête de ce sujet ? Pourtant ce n'était qu'un mot, un seul mot. Entouré de crochets, soulignant son importance pour la suite, certes, l'isolant du reste du titre d'accord, mais ça ne reste qu'un mot, un amalgame de lettres, elles-même représentations graphiques de ce qu'on appelle le langage.

Et pourtant, ces quelques gribouillages simples ont su évoquer dans votre mémoires des bribes entières d'existence, des ressentis, des émotions aussi, voire des réactions physiques involontaires dans les cas les plus extrêmes. La mémoire, formidable silo de stockage, nous sert quotidiennement, que ce soit pour se rappeler d'un anniversaire (je parle aux filles), ou de la date des matchs de la coupe du monde (je parle aux garçons), ou enfin de sa propre date de naissance (ce n'est pas évident, saletés de formulaires de la sécu).

Elle nous sert également pour des raisons moins matérialistes, car la mémoire est le siège de l'expérience, acquise au fil des évènements survenus, des actions entreprises et des choix effectués. Car des choix, nous devons toujours en faire, à n'importe quel stade de notre vie. Qui dit choix, dit conséquences. Conséquences que nous essayons forcément de déterminer à l'avance, en pesant le pour et le contre des alternatives proposées. Cependant, l'homme étant ce qu'il est, il n'est pas infaillible, et parfois (souvent ?) les conséquences réelles d'un choix effectué s'avèrent différentes de celles escomptées à l'avance.

C'est là qu'intervient le mécanisme de l'expérience, soutenu par la mémoire. Car à chaque fois qu'on jure, mais un peu tard, qu'on ne nous y reprendra plus, la mémoire se charge d'enregistrer le cas de figure avec les conséquences (subjectives ou objectives) afférentes. Et, en effet, lorsqu'un cas similaire se représente, la mémoire est sollicitée pour ressortir les vieux dossiers de toutes les affaires sur le même thème, permettant au centre de décision d'avoir plus d'éléments pour coordonner son choix.

Et là, se rappelle à votre bon souvenir le titre de l'article.

Car oui, la mémoire, toute merveilleuse qu'elle soit, n'en est pas moins parfois capricieuse. Car ceux qui croient se souvenir que la mémoire est un espace illimité de stockage se trompent. Notre mémoire est physiquement limitée. Le cerveau se charge de faire un tri dans les informations reçues, certaines ne sont pas enregistrées tandis que d'autres remplaçent des données stockées précédemment.

Mais voilà, nous ne connaissons absolument pas les mécanismes de ce tri. Car il est différent pour chacun. Autant certains sont capables de retenir les paroles de toutes les chansons qu'ils connaissent, même celles en anglais, en allemand ou encore en moldave, autant certains sont parfois incapables de se souvenir de leur âge, qu'ils doivent calculer à partir d'autres éléments qu'ils arrivent à retenir tant bien que mal.

Pour ces derniers, la vie n'est pas facile tous les jours : incapable de se souvenir de leurs rendez-vous, de leurs médicaments à prendre, de leurs papiers urgents (voire de leurs contraventions, occasionnant majorations désagréables), ces derniers sont mis au ban de la société par leur étourderie. Ah certes, j'en entends dans le fond qui préconisent l'utilisation de mémoires externes, comme les post-it, les carnets, voirr pour les plus fortunés (ceux qui oublient de dépenser), les assistants électroniques. Ce serait trop simple !

Car pour utiliser efficacement une mémoire externe, il faut se souvenir qu'elle existe, il faut penser à écrire dedans, et, pire, il faut se rappeler de les consulter régulièrement. La boucle est bouclé, l'étourdi se retrouve bientôt sans relations sociales, malades à crever et sans le sou (à cause d'une malencontreuse contravention pour oubli de mise de ceinture)

Je me lève donc au nom de la multitude des distraits, oublieux et autres étourdis, m'adresse à ceux qui, eux, arrivent mieux à retenir les informations importantes que la frontière française à retenir le nuage de Tchernobyl.

Répétez-leur, inlassablement, ce qu'il faut, autant de fois qu'il le faut, chaque fois qu'il le faut. Plutôt que de leur en vouloir pour leurs oublis répétés (anniversaires, rendez-vous, cadeaux, etc...), dites-vous qu'ils sont encore plus mal à l'aise que vous sur ces coups-là.

Et vous alors, arrivez-vous à retenir les plaques d'immatriculation des voitures qui vous précèdent dans les bouchons au détriment de votre code de carte bleue ou bien faites-vous partie de ceux qui connaissent les règles du bridge par coeur, ainsi que toute la généalogie mérovingienne avec les dates et les horaires de train Paris-Tombouctou et les tarifs de la station essence et le jour de la fête des mères ?