Je me réveille difficilement. Je tente de chasser de ma tête les derniers bancs de brumes du sommeil que je viens de quitter. L'agence Bison Futé de mon esprit affiche rouge sur toutes les voies de mon cerveau, mes pensées se bousculent, se percutent dans un chaos indescriptible.

Je vois flou quelques instants, et dois faire un effort pour enfin prendre visuellement conscience du monde qui m'entoure. Graduellement, je commence maintenant à percevoir les sons de mon environnement. Des bruits de voix au rez-de-chaussée, un cliquetis informatique dans la pièce d'à-côté, et le sang qui bat dans mes tempes. Une odeur de cuisine me rappelle que je n'ai rien mangé depuis la veille au soir, ma langue est pâteuse et flotte dans une salive qui n'a rien eu à se mettre sous la dent depuis trop longtemps. Enfin, les courbatures qui zèbrent mon corps d'élancements douloureux achèvent de me rappeler mes cinq sens.

J'ai rêvé.

Plus nettement que jamais.

Pourtant, d'habitude, j'oublie toujours les rêves que je fais. Etrange.

Cette fois-ci, au contraire, les détails me reviennent distinctement...

J'émerge de la brume omniprésente dans laquelle j'errais depuis tant de temps, guidé par de faibles lumières rouges vif, qui étaient comme autant de phares dans l'evanescence ambiante. Et enfin, j'y arrive.

Le temps ? La nuit noire, noire et froide, d'un froid qui vous glacerait le coeur. Le vent qui balaye la surface s'infiltre dans les profondeurs de votre être et refroidit les ardeurs les plus chaudes. Le contraste est frappant tant la différence de température est grande entre les caves chaudes et humides et immobiles, et la surface froide et sèche et battue par le vent. Pour autant il ne pleut pas.

Le lieu ? Un sous-sol, des caves plus précisément, formées par des piliers de briques à intervalles réguliers, reliés par des arcades voûtées. Des cloisons posées entre les piliers délimitent deux grands espaces distincts, tandis que ça et là, des tentures ou des guirlandes matérialisent des sortes de niches qui ne parviennent pourtant pas à créer l'intimité qui semblait voulue. Le plafond n'est pas haut, et donne une faible impression d'oppression, d'enfermement. A l'entrée, un comité d'accueil me remet un bracelet rouge sang, je frémis...

Les gens ? Nombreux, et cosmopolites. La foule est bruyante, bigarrée, fantasmagorique. Le cuir noir est très présent, et son austérité fait écho aux atours de séduction que portent sans distinction garçons ou filles, si ce n'est que ces dernières semblent plus habituées à se parer de la sorte. Une autre frange de la population déambulante de ces caves tente avec plus ou moins de succès de mimer avec une exagération toute stéréotypique la défroque des accros d'informatique. Une dernière minorité est habillée avec la plus stricte banalité. Ce qui, paradoxalement, passe pour étrange au milieu de cette débauche d'orignalité vestimentaire.

L'ambiance ? Bruyante, bondée et enfumée par les dizaines et centaines et milliers d'extraits de plantes exotiques réduites en cendres à l'aide d'étuis en papier garnies en leur bout d'un filtre en matière cotonneuse. Cette odeur désagréable s'insinue partout, s'incrustant dans les vêtements, s'immisçant dans la gorge, qu'elle irrite en provocant des toux spontanées. Des musiques psychédéliques, rythmées sur un thème binaire, meublent l'espace sonore, et rendent difficile toute conversation.

Je sature, je suffoque, j'étouffe, je fuis dans l'air froid...

Tout cela n'était qu'un rêve.

Je plonge ma tête lourde dans mes mains. Tiens, qu'est-ce ? Je lève mon poignet gauche à la hauteur de mes yeux. Un bracelet rouge...